En 1789, la mémoire protestante du Midi vivait encore sous le sceau du tragique et de la clandestinité. Deux siècles plus tôt, l’Édit de Nantes (1598) avait certes offert un répit, mais sa révocation en 1685 – le « Grand Réveil », comme on l’a nommé dans les Cévennes – avait plongé la région dans une succession de persécutions, de « Désert » et de résistance souterraine. Les chiffres interpellent : avant la Révocation, le Languedoc, le Vivarais ou encore les Cévennes réunissaient près de 150 000 protestants (voir Jacques Soubeyran, ). Cette communauté était vivante, dotée de ses synodes, de ses pasteurs recrutés parfois en Suisse ou en Hollande, et de ses réseaux solidaires.
Quinquagénaires, centenaires parfois, les Églises du Midi avaient survécu grâce à des assemblées clandestines, soutenues par des figures telles que la prophétesse Marie Durand ou le chef camisard Jean Cavalier. L’éphémère tolérance religieuse, concédée par l’Édit de Versailles en 1787, avait certes redonné espoir, mais la réalité du terrain restait précaire : pas de temples, des registres systématiquement confisqués ou falsifiés, des mariages célébrés en cachette, des enfants baptisés à la va-vite sous la menace des dragons du roi.
Le vent de la Révolution souffle sur le Midi avec force espoirs pour les protestants, qui se montrent, du Vigan à Montpellier, parmi les partisans les plus enthousiastes de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen (26 août 1789). Ce texte, tout sauf abstrait pour les protestants, proclame la liberté religieuse – une toute première en France moderne.
Le pasteur Paul Rabaut, figure emblématique de Nîmes et ténor du « Désert », est élu député aux États généraux. Il œuvre, avec une poignée d’autres, à la rédaction de l’article 10 sur la liberté de conscience. Cette reconnaissance juridique bouleverse la donne :
Mais la Révolution, si elle enthousiasme d’abord, ouvre aussi une période d’incertitude pour l’organisation des Églises : comment s’inscrire dans un nouvel espace public sans perdre l’équilibre subtil de la solidarité du « Désert » ?
Dès 1791, les pasteurs du Midi, encouragés par la liberté retrouvée, convoquent des synodes départementaux : à Nîmes, Montpellier, Alès. C’est la résurgence rapide d’une vie ecclésiale structurée, qui s’appuie sur le culte, l’enseignement biblique, la diaconie mais aussi, partout, sur la reconstruction matérielle.
Toutefois, tout n’est pas simple : de 1792 à 1794, la Terreur fait de nouveau vaciller cette ressemblance de paix religieuse, et plusieurs pasteurs protestants sont persécutés ou exécutés, non plus pour leur foi mais pour leurs opinions politiques (ainsi Jacques Lafon, guillotiné à Nîmes en 1794).
La Révolution instaure une nouvelle organisation territoriale, celle des départements, qui bouscule la géographie ecclésiastique traditionnelle. Dès 1792, l’Assemblée législative tente d’uniformiser l’organisation des cultes, visant une Église protestante alignée sur les principes républicains, parfois au détriment des usages locaux issus du Désert :
Pour la première fois, l’État s’efforce d’unifier l’identité protestante du Midi, souvent perçue comme dissidente ou singulière, dans un moule administratif commun à toute la France. Ceci prépare, à bien des égards, la reconnaissance officielle avec le Concordat de 1802 (Loi d’organisation des cultes protestants sous Napoléon Bonaparte), mais fait aussi émerger des tensions entre tradition cévenole et la volonté centralisatrice de Paris.
Certains personnages symbolisent, dans le Midi, ce regain d’activité et d’innovation religieuse :
La période voit reparaître, dans les villages du Midi, des pratiques anciennes :
On mesure l’ampleur de cette compassion par le surgissement de réseaux de solidarité tissés autour des temples nouveaux ou rénovés, qui vont devenir, au XIXe siècle, l’un des traits distinctifs du protestantisme méridional (voir Émile G. Léonard, ).
La Révolution a-t-elle libéré totalement les Églises protestantes du Midi ? La réponse est plus nuancée qu’il n’y paraît. Si le changement de statut, de la clandestinité à la visibilité, marque une ère nouvelle, la période révolutionnaire laisse aussi des traces ambivalentes :
Enfin, la Révolution ouvre la voie, dans le Midi protestant, à une foi inscrite dans l’espace public, mais soucieuse d’allier mémoire des persécutions et fidélité à l’héritage biblique – on continue à méditer, dans des familles cévenoles, sur le : « Dieu est pour nous un refuge et un appui, un secours qui ne manque jamais dans la détresse ».
Le retentissement de la Révolution sur les Églises protestantes du Midi demeure palpitant à étudier, tant il éclaire notre présent : l’histoire n’est jamais close, la foi ne cesse de se chercher des formes toujours à réinventer entre mémoire locale et aspirations universelles.