Le passage du XVIIIe au XIXe siècle résonne dans le Midi protestant comme une aurore complexe. Marquée par les décennies d’interdiction, de clandestinité et de dispersion, la communauté protestante sort affaiblie mais résiliente de la Révocation de l’Édit de Nantes (1685) et de la période du Désert. Les souvenirs sont lourds : temples ruinés, assemblées secrètes dans les mas ou sur les pentes des Cévennes, exercice surveillé ou interdit d’une foi minoritaire.
L’édit de tolérance de 1787 rallume timidement l’espoir d’une reconnaissance. Mais il faut la Révolution, puis l’Empire, pour donner enfin aux protestants la légitimité juridique et sociale longtemps refusée. C’est un souffle d’histoire, un contexte bouleversé où les choses vont changer, et les pierres des anciens temples, enfouies ou rasées, commencent enfin à revivre.
Le protestantisme du Sud, qu’il s’agisse du Languedoc, du Vivarais, de la Drôme ou de la Provence, a vécu une alternance cruelle : au XVIe et XVIIe siècles, on construit des temples dans presque toutes les villes et gros bourgs — on en compte environ 2 000 en France à la veille de la Révocation, selon l’historienne Anne Brenon, dont près d’un tiers dans le Midi (source : Anne Brenon, Camisards. La guerre des Cévennes). Beaucoup sont rapidement rasés sur ordre royal après 1685, ou reconvertis.
Entre 1802 (Concordat et Articles organiques) et la fin du XIXe, plus de 500 nouveaux temples sont érigés dans le Midi. Le renouveau n’est pas un simple retour à l’ordre : il marque souvent un changement d’emplacement ou d’architecture, parfois même une implantation dans des quartiers neufs, reflet du désir protestant de s’inscrire dans un monde plus ouvert, voire d’afficher un témoignage public. Ainsi, dans le Gard, 90 % des édifices protestants datent ou ont été massivement restaurés au XIXe siècle (source : Dossier Monumentum.fr sur les édifices religieux protestants en Occitanie).
Les temples protestants du XIXe siècle ne sont pas, dans leur écrasante majorité, le réemploi des modèles du passé. La clandestinité a fait naître une éthique de la simplicité, mais la liberté retrouvée inspire, ici et là, une volonté d’élan, voire de solennité. On retrouve alors trois grandes tendances architecturales dans le Midi :
Quelques chiffres : selon le Service régional de l’Inventaire, plus de 120 temples néo-classiques sont recensés entre 1805 et 1860 dans le Languedoc et les Cévennes (source : Inventaire général Région Occitanie). Leur taille varie de petits édifices pour 80 fidèles à des “cathédrales protestantes” de plus de 1 000 places (comme la Grand-Temple de Nîmes).
Au XIXe siècle, le temple protestant n’est pas un simple lieu de culte. C’est un symbole de liberté, de fraternité, d’éducation. Sous le Second Empire et la IIIe République naissante, l’Église réformée du Sud investit massivement dans l’école du dimanche, les sociétés de secours mutuel, les bibliothèques paroissiales.
La construction d’un temple fédère la communauté : souvent financée par souscriptions, vente des terres, dons de familles réfugiées et soutien d’organismes étrangers (comme la London Missionary Society ou l’Église réformée de Genève). Cela produit un dynamisme particulier dans de nombreux villages soudés par l’épreuve.
Le renouveau du culte inspire aussi une floraison musicale. L’orgue protestant, symbole jusqu’alors réservé au monde catholique (souvent absent des temples huguenots pour ne pas rappeler la pompe liturgique), fait son apparition dans plusieurs édifices entre 1850 et 1900. À Uzès, à Montpellier ou Alès, choeurs et musiciens locaux participent ainsi à l’embellissement du service divin, témoignant d’une volonté de conjuguer fidélité et ouverture culturelle.
Ce renouveau architectural et communautaire n’est pas exempt de défis. L’essor des temples accompagne celui d’une pluralité interne : piétisme, méthodisme, évangélisme se disputent parfois la même nef ou voient naître des temples distincts, comme à Alais (Alès) où plusieurs tendances se partagent le boulevard du centre.
Le XIXe siècle voit aussi les protestants se lier activement aux causes sociales : abolitionnisme, éducation pour les filles, opposition à la misère ouvrière. Beaucoup de temples accueillent alors des conférences sur les droits humains, des réunions philanthropiques (notamment sous la houlette de figures locales : Félix Pépin, Jules Malzac, ou encore Amélie de Lagrange).
Mais la visibilité nouvelle suscite menaces ou railleries : en 1831, des émeutes éclatent à Nîmes et Uzès contre les temples “trop imposants” au goût de certains milieux catholiques (“Affaire des Temples”, voir Revue d’Histoire Moderne et Contemporaine, n°38, 1991). Cette tension n’empêchera pas les protestants d’approfondir un dialogue plus fervent avec leurs voisins, dans le respect mais parfois aussi la compétition.
Le paysage religieux méridional est profondément marqué par cet élan XIXe : la plupart des temples que l’on traverse aujourd’hui dans le Gard, l’Hérault ou l’Ardèche sont enfants de ce siècle de reconstruction. Certains, hélas, sont maintenant désaffectés ou reconvertis, mais beaucoup continuent d’accueillir cultes, concerts, expositions.
Leurs murs gardent la trace de la foi persévérante des communautés du Désert, mais ils traduisent aussi cet esprit d’ouverture et de responsabilité sociale qui reste la marque du protestantisme du Midi.
L’esprit des bâtisseurs y circule encore dans le souffle du chant, le pas feutré des assemblées, et parfois même dans le silence vibrant des pierres, longtemps privées de parole et qu’un siècle a patiemment relevées.
Pour découvrir ces lieux, le chemin du protestantisme méridional passe par une attention à la mémoire vivante : visites guidées estivales, “Nuits des temples”, conférences, publications de sociétés locales d’histoire (telles la Société de l’Histoire du Protestantisme Français ou le Musée du Désert).
À l’heure où nos paysages religieux semblent parfois s’effacer, le XIXe siècle demeure, dans ce Midi, le siècle où le temple n’a pas été seulement un abri, mais une œuvre collective, un témoignage, une espérance enracinée dans la chair du territoire.