Pierre Laporte, mais que ce nom éveille-t-il dans la mémoire cévenole ? Ce nom, « Rolland », retentit tel un chant de résistance, porté par des siècles de récits familiaux, de psautiers cachés et de pierres noircies par les assemblées secrètes. Figure centrale de la guerre des Camisards (1702-1704), Rolland n’est pas seulement un stratège, ni même un simple pasteur laïc : il incarne à lui seul la vocation tragique et lumineuse d’un peuple refusant la conversion forcée.
Pour saisir sa place, il faut remonter à la carte de ces villages méridionaux, où la survie spirituelle passait parfois par la terreur, souvent par une fraternité inébranlable. Ici, la foi et la liberté n’étaient pas des mots, mais la chair et le sang des familles cévenoles.
Né en 1680 à Mas Soubeyran, hameau de Mialet au cœur du Gard, Pierre Laporte est témoin dès l’enfance des persécutions suite à la Révocation de l’Édit de Nantes (1685). Son père, comme tant d’autres, subit les dragonnades ; sa famille, selon les annales protestantes, vit cachée, la Bible à la main. Sa mère, Élisabeth Michel, incarne cette figure des "héroïnes cévenoles" qui, dans l’ombre, enseignent le psautier à leurs enfants malgré la peur (source : Musée du Désert, Mialet).
Le surnom « Rolland » lui vient d’une admiration pour la chanson de geste médiévale, le suggérant dès l’adolescence comme un personnage façonné autour de l’idéal du chevalier et de la fidélité aux siens.
En 1702, Pierre Laporte a vingt-deux ans. C’est l’époque des « prédicants », laïcs investis du souffle prophétique qui animent les assemblées secrètes dans les grottes et forêts. À la mort de Pierre Séguier, dit « l’Esprit », chef populaire tué en juillet 1702 à Vébron, le flambeau passe à Laporte. Si Jean Cavalier est souvent cité comme le principal chef camisard, Rolland en est l’âme austère et mystique, privilégiant la sorte de discipline spirituelle et la rigueur morale qui donnent leur force aux rassemblements.
Sa foi et sa conduite font l’admiration, son autorité impose la cohésion, dans un contexte où les troupes royales cherchaient à briser la communauté par la terreur et la division (source : Philippe Joutard, "La légende des Camisards").
Rolland, cabri des hauteurs cévenoles, adapte avec brio les méthodes de la guérilla à des troupes inférieures en nombre comme en équipement. Dès septembre 1702, après la tuerie de Pont-de-Montvert, les troupes camisardes deviennent insaisissables ; soufflant sur des foyers de résistance parfois plus symboliques que militaires.
Quelques chiffres et faits marquants :
Sa stratégie : disperser rapidement ses troupes, attirer l’ennemi dans les zones difficiles, puis contre-attaquer lors des replis. Sa connaissance de la géographie (cols, drailles, grottes) confond les Dragons du roi, dont Jean Cavalier a dit : « Ce que Rolland n’a pas vu d’abord, nul ne le verra ensuite » (source : « Les mémoires de Jean Cavalier »).
Rolland n’était pas pasteur au sens institutionnel mais, dans le désert de la clandestinité, il devient pour les siens un guide de prière et d’espérance. Nombre de témoignages issus des « Registres du Désert » font état de sa capacité à méditer les psaumes « sous les cieux étoilés du mont Brion ». Son charisme ne tenait pas qu’à la parole, mais à une foi vécue, affermie.
Cette spiritualité, sans prosélytisme ni haine, est l’héritage le plus fécond que Rolland laisse à ses coreligionnaires, jusque dans la défaite.
Février 1704 : alors que la guerre s’enlise, Laporte/ Rolland est trahi, capturé lors d’un rendez-vous à la grotte de la Sardane, près de Ners. Il est abattu sans procès à la Tour de Peyre, sur ordre du maréchal Montrevel. Selon les témoignages, ses dernières paroles furent un rappel à la fidélité au Christ plus qu’à la revanche.
Les représailles furent d’une rare violence : la tête de Rolland, exposée durant plusieurs semaines devant le Pont-de-Ners, devint signe d’intimidation pour les Cévenols. Mais elle marqua au contraire le début d’un mythe populaire, transmis par toute une littérature cévenole : André Chamson, Philippe Joutard, mais aussi des études locales qui font la part belle à l’oralité.
L’héroïsme de Pierre Laporte n’éclipse pas la complexité des Camisards, tiraillés entre résistance, divisions internes et nécessité de préserver des vies. Sa stature rayonne surtout parce qu’il a su donner chair à une forme de foi collective : non pas fermée ou vindicative, mais indomptable sous la contrainte.
Depuis trois siècles, nombre de villages gardois et lozériens lui consacrent des stèles, des plaques de rue, témoignages de reconnaissance. La célébration annuelle au Moulin de l’Agau, lors du rassemblement du Désert, en est la trace vivante.
Dans un monde où tant d’identités vacillent au gré des replis ou des nostalgies, la figure de Pierre Laporte, dit Rolland, continue d’interroger et d’inspirer. Il n’est pas seulement un héros d’archives ou un nom de chemin : il est l’illustration d’une fidélité active, carrefour entre histoire, foi et résistance. Les Cévennes gardent la trace de ses pas, et les générations qui passent, croyants ou non, se reconnaissent souvent dans ce combat pour la dignité humaine – éclairé par la lumière tamisée des collines du Midi.
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