Le Languedoc du XVIe siècle n’est pas un décor silencieux, mais une terre traversée de mouvements, d’idées neuves, de foi en quête d'expression. À la veille de la Réforme, cette région est l’une des plus urbanisées du royaume, animée par des cités prospères comme Montpellier, Nîmes, Castres, Uzès ou encore Alès. Ces villes sont autant de carrefours où circulent commerçants, étudiants, artisans venus de loin, et avec eux, de nouveaux courants religieux.
La mémoire médiévale reste vive : hérésie cathare, guerre contre la papauté, autonomie municipale. Une tradition d’indocilité marque le paysage languedocien. Dès le début du XVIe siècle, des courants humanistes s'enracinent dans les villes grâce à l’imprimerie (implantée à Montpellier dès 1530), à l’Université, aux correspondances élargies. Ce sera le terreau sur lequel la Réforme luthérienne puis surtout calviniste trouveront à s’implanter.
C’est dans les villes du Languedoc, plus tôt et plus puissamment qu’ailleurs en France avec Paris ou Lyon, que la Réforme va prendre corps. Selon les travaux de Denis Crouzet (Les Guerriers de Dieu, 1990), la région représente dès la décennie 1560 l’un des bastions protestants les plus structurés du royaume, derrière la région de Genève.
L’implantation de la Réforme à l’échelle urbaine s’explique par plusieurs canaux complémentaires :
Les premiers groupes protestants se réunissent discrètement dans des maisons privées (“prêches” nocturnes signalés en 1547 à Montpellier d’après les archives municipales), tolérés tant que leur dimension reste privée. Mais à partir de 1560, la crise politique nationale (affermissement du pouvoir central, assassinats, croissance de la contestation religieuse) accélère la publicisation du culte réformé.
Il n'est pas rare qu'une même rue de Nîmes ou de Montpellier alterne avec une étonnante rapidité entre prêche protestant clandestin et procession catholique, selon les tournants politiques locaux.
L’encadrement des villes du Languedoc par des consuls élus offre une relative autonomie vis-à-vis du pouvoir royal, ce qui facilite les conversions collectives. À Castres ou Uzès, les édiles eux-mêmes se convertissent, avec près de 80% du Conseil municipal de Castres protestant dès 1562 ! (cf. Histoire générale du Languedoc, Privat, 1984).
Cette configuration explique que, lorsque commencent les Guerres de Religion (1562-1598), la lutte n’oppose pas simplement protestants contre catholiques, mais retentit jusque dans l’administration municipale — parfois divisée, parfois alliée autour de la foi nouvelle. Des quartiers entiers deviennent “protestants”, voyant naître écoles, hôpitaux et même réseaux d’entraide, anticipant de la sorte le rôle de l’Église Réformée dans la société laïque moderne.
Derrière le dynamisme urbain affleure une résistance féroce : exécutions publiques (la pendaison du pasteur Pierre Laporte à Montpellier en 1559), émeutes anti-huguenotes et représailles sanglantes. Le massacre de la Michelade à Nîmes (1567), où plus de 80 catholiques sont tués par des protestants dans l’esprit de vengeance et de peur, illustre la violence des antagonismes exacerbés par des décennies d’intransigeance religieuse (cf. Philippe Joutard, Les Camisards).
Pourtant, la Réforme survit, portée par une discipline interne remarquable : chaque Église locale tient des registres, assure l’éducation de ses enfants par la création d’écoles confessionnelles, vient en aide aux pauvres par les “diaconies”, et forme des pasteurs envoyés à Genève ou Lausanne.
L’implantation de la Réforme dans les villes du Languedoc n’a jamais été ni monolithique, ni uniforme :
L’originalité de la Réforme urbaine du Languedoc tient aussi à la part importante laissée aux femmes, souvent actrices majeures du mouvement (enseignantes, hôtelières, protectrices de pasteurs). Madeleine de l’Hospital à Castres, ou encore Jeanne de Cazals à Montpellier, incarnent ce pouvoir féminin discret mais constant, relayé par la correspondance, l'accueil des réunions clandestines et le soutien logistique.
La Réforme dans les villes du Languedoc a forgé une culture spécifique : goût du débat, autonomie municipale, discipline communautaire et ouverture aux idées nouvelles. Ces cités deviennent au fil du temps des bastions, des laboratoires d’expérimentation religieuse où se fabriquent tant l’esprit protestant que le refus du fanatisme, la tolérance arrachée de haute lutte, les solidarités de voisinage.
De ce passé, restent aujourd’hui des traces visibles et invisibles : noms de rue (rue des Martyrs à Nîmes), restes de temples et archives municipales, mais aussi, pour qui sait voir, une culture politique urbaine attentive au dialogue, à la minorité, à la mémoire partagée. C’est dans ces itinéraires complexes que se lit encore, de nos jours, l’empreinte indélébile de la Réforme protestante sur les villes du Midi.
Sources principales :