Dès les années 1530, l’Évangile réformé franchit les monts et gagne les vallées du Midi. La diffusion rapide des idées de Luther, puis de Calvin, s’inscrit dans un contexte social et linguistique unique. Les réseaux de marchands, d’artisans lettrés, et surtout la présence de communautés déjà rétives à l’autorité catholique, expliquent ce phénomène. On trouve, dans le Languedoc, l’empreinte de l’humanisme et la mémoire résiduelle du catharisme.
Quelques jalons fondateurs :
La langue occitane devient un vecteur de la foi protestante, marquant sermons et cantiques. Pourtant, la défiance des autorités royales et catholiques se renforce : synodes clandestins, persécutions, et premiers martyrs jalonnent ce demi-siècle.
De 1562 à 1598, la région est emportée dans les Guerres de Religion. Des bastions protestants s’affirment – Montpellier, Nîmes, Uzès, Alès – tandis que le triangle cévenol devient refuge et force vive des “Parpaillots” (surnom donné aux protestants du Midi). Le soulèvement de la “Michelade” à Nîmes (1567) reste l’une des flambées les plus connues du conflit.
On estime qu’au tournant du XVIIe siècle, le tiers de la population languedocienne demeure attaché à la foi réformée. De ce terreau émergent des académies (Montpellier, Saumur), des synodes vivaces et une culture scolaire protestante très dynamique (Source : Musée du Désert ; museedudesert.com).
La Révocation de l’Édit de Nantes en 1685 par Louis XIV bouleverse la vie protestante. Temples détruits, pasteurs exilés ou emprisonnés, et interdiction des cultes publics plongent la région dans la clandestinité. Les déracinements, dragonnades et abjurations forcées marquent toutes les familles.
Ce soulèvement, nourri par une forte expérience spirituelle et biblique (notamment les prophètes inspirés), a profondément façonné la mémoire protestante méridionale. La résistance prend souvent des formes discrètes : cultes au “désert”, réunions secrètes dans les grottes et forêts, transmission orale des Psaumes et de l’Écriture.
Le Desert (1685-1787) désigne cette période de clandestinité, d’errance et de foi sous la menace. Le terme reste aujourd’hui chargé de sens pour les descendants de huguenots du Midi.
On estime que lors du Synode du désert de 1715 à Montèzes (près de Saint-Jean-du-Gard), près de 3 000 fidèles furent rassemblés clandestinement. Les textes et récits de cette époque, notamment les chants et les témoignages, fondent une spiritualité de la fidélité vécue sous l’épreuve (Source : Philippe Joutard, Les camisards, insurrection et mémoire, Gallimard).
Des mémoires familiales, des pierres gravées (souvent cachées), et des Bibles “du désert” – minuscules, transportables – témoignent encore de cette ferveur.
La fin du XVIIIe siècle marque un tournant avec l’Édit de Tolérance (1787), qui permet l’existence légale des protestants. Les premières déclarations officielles d’état civil, longtemps interdites aux “NPR” (non-catholiques), réveillent les consistoires endormis.
| Année | Événement Protestant clé | Lieu |
|---|---|---|
| 1787 | Édit de Tolérance | Languedoc, Cévennes, Roussillon |
| 1810 | Ouverture de l’école protestante | Saint-Hippolyte-du-Fort |
| 1838 | Inauguration du temple de Montpellier | Montpellier |
Au XIXe siècle, la région fournit des pasteurs influents, des philanthropes et des militants abolitionnistes (comme François Guizot, originaire de Nîmes), ainsi que des pionniers de l’école publique laïque. L’engagement social se traduit, dès 1820, par la création d’orphelinats, d’hôpitaux privés, et de sociétés bibliques. Le tissu “paroissial” protestant façonne aussi bon nombre de villages cévenols et biterrois.
Le XX siècle, tout en voyant s’amenuiser la proportion de protestants dans la population (on estime aujourd’hui à environ 2 à 3 % la présence protestante dans le Gard, l’Hérault et les Pyrénées-Orientales – Source : INSEE, recensements 2019), est marqué par une nouvelle visibilité et par l’engagement œcuménique et social.
Aujourd’hui, le tissu protestant du Midi témoigne d’une foi vivante, traversée par de nouveaux défis : interculturalité, sécularisation, engagement écologique. Les rassemblements du Désert (plus de 15 000 personnes chaque premier dimanche de septembre à Mialet), les initiatives solidaires (épiceries sociales, accueil des migrants à Montpellier, Perpignan ou Nîmes), montrent la dynamique d’adaptation et de partenariat, fidèle à l’esprit des premiers réformateurs et des résistants camisards.
L’histoire du protestantisme en Cévennes, Languedoc et Roussillon est faite de passages : persécutions, diasporas, renaissance, innovation, engagement. Cette histoire, loin d’être figée, irrigue encore aujourd’hui la vie des communautés, marque les paysages – routes du Refuge, temples du Désert, cimetières aux marges des villages – et éclaire des parcours de vie et d’engagement.
De nombreux musées, lieux de mémoire et manifestations (comme les Rencontres de Mialet, le Musée du Désert, ou la Route des Huguenots) invitent à ne pas réduire le protestantisme méridional à un héritage lointain ou nostalgique, mais à le percevoir comme une ressource pour penser la fidélité, le dialogue et l’accueil dans la société du XXI siècle.
À l’ombre des châtaigniers cévenols, dans les ruelles de Nîmes ou sur les places de Perpignan, le protestantisme du Midi demeure une étoffe vivante, marquée par ses luttes et par l’espérance. Son histoire n’a jamais cessé de se tisser — discrète parfois, mais toujours habitée.