La révolte des Camisards : mémoire vivante des Cévennes protestantes

18/06/2025

Aux sources d’un soulèvement : qui étaient les Camisards ?

Le mot « Camisard » fait écho dans la mémoire du Sud, comme un souffle entravé qui refuse de s’éteindre. Les Camisards n’étaient ni une armée régulière ni une secte égarée : ils furent, d’abord, des paysans, artisans, artisans tisserands, bergers du pays cévenol et de plaine. Un peuple tout entier, déraciné au nom de la foi, s’est rassemblé dans la clandestinité pour défendre des convictions ancrées dans un terreau familier : celui du protestantisme huguenot.

Le terme « Camisard » apparaît dans les textes à partir de 1702. Le mot dériverait, selon plusieurs hypothèses, soit du mot occitan « camisa » (chemise), que les insurgés portaient lors de leurs actions nocturnes, soit du terme « camiso » signifiant eux-mêmes « ceux qui portent la chemise » (Persée).

  • Le noyau des Camisards était constitué pour beaucoup de jeunes gens, dont des pasteurs autodidactes désignés « prophètes ».
  • La géographie du mouvement, d’abord centrée sur le bas Languedoc, le Vivarais, le Dauphiné, s’est surtout enracinée dans les vallées cévenoles du Gard et de la Lozère.
  • Ils n’étaient pas tous Calvinistes : certaines familles venaient de traditions protestantes plus « radicales ».

Au-delà du mythe, la réalité était complexe : les Camisards étaient avant tout des hommes, des femmes, des adolescents, parfois des enfants, refusant de renier leur foi.

Le terreau de la révolte : le contexte après la Révocation de l’Édit de Nantes

Le soulèvement des Camisards est impossible à comprendre sans revenir sur la tragédie de la Révocation de l’Édit de Nantes en 1685. Jusqu’alors, l’Édit garantissait une forme de coexistence confessionnelle, à défaut d’une paix intérieure. Les pasteurs furent expulsés, les lieux de culte détruits ou réaffectés. Dans le Languedoc, environ 400 temples furent rasés (Musée Protestant), et plusieurs dizaines de milliers de personnes prirent le chemin de l’exil, notamment vers Genève, la Prusse ou l’Angleterre.

Mais la majorité du « désert » — nom donné à la clandestinité protestante — resta sur place. Ceux qui continuèrent à célébrer leur foi le firent au péril de leur vie :

  • Les dragonnades installèrent de force des soldats chez les protestants, voués à la conversion ou à la ruine.
  • La clandestinité des assemblées se renforça, avec les prédications de prophètes et prophétesses du désert.
  • Un système de délation, de répression, de galères et de pendaisons bouleversa la vie des campagnes cévenoles.

L’Édit de Nantes avait permis à environ 20% de la population du Bas-Languedoc de devenir protestante avant la Révocation (Annales). Après 1685, cette proportion s’effondra mais la foi demeura, souterraine, têtue.

La flamme allumée : comment la guerre des Cévennes éclata

Tout n’a pas éclaté d’un coup. Entre 1685 et 1702, la résistance s’est organisée : lectures clandestines de la Bible, célébrations cachées, relais itinérants de pasteurs du désert. Mais la violence du pouvoir, et la montée de la piété prophétique, aboutirent à un point de rupture.

Quelques dates clefs pour comprendre le basculement :

  1. 1702 : assassinat de l’abbé du Chayla au Pont-de-Monvert — point de départ du soulèvement général. L’abbé, véritable « inquisiteur » du Gévaudan, était connu pour sa cruauté envers les protestants. Sa mort fut l'étincelle.
  2. 1702-1704 : apogée des combats camisards, marqués par des victoires éclatantes de partisans contre les régiments royaux à Fraissinet-de-Fourques, à Mas de la Barque, puis à Billot.
  3. 1704 : tentative de négociation entre Jean Cavalier, l’un des principaux chefs camisards, et le maréchal de Villars, envoyé royal.
  4. 1705 : la répression royale, menée par les troupes du duc de Berwick, tourne à la guerre totale : fermes brûlées, villages rasés, déportations massives.

Le mouvement, d’abord défensif, s’organise rapidement en une véritable guérilla. Les troupes royales, lourdement armées, peinent à s’adapter à la topographie cévenole, aux chemins de transhumance et aux réseaux d’informateurs.

Portraits et destins camisards

Parmi les figures marquantes de cette insurrection, plusieurs noms émergent, porteurs de courage mais aussi de dilemmes spirituels.

  • Jean Cavalier : né en 1681 à Mas Roux. Ancien boulanger, il devient capitaine des Camisards à 21 ans. Son charisme et sa discipline militaire lui valent de brèves victoires, mais il finit par négocier son exil vers l’Angleterre, où il termine sa vie au service du roi George II.
  • Pierre Laporte, dit Rolland : plus mystique, il incarne la radicalité prophétique et finit assassiné en 1704 à l’âge de 27 ans.
  • Marie Durand : symbole féminin du désert, bien qu’emprisonnée plus tard (de 1730 à 1768), elle inspira le mouvement par sa résistance silencieuse — 38 ans captive à la tour de Constance pour avoir refusé d’abjurer (« Résister », gravé dans la pierre).
  • Samuel Bastide, Pierre Court, Abraham Mazel… le mouvement fut foisonnant et les généalogies y puisent encore des racines.

En 1703, on estime que 8000 à 10 000 soldats royaux furent mobilisés pour écraser moins de 2000 à 2500 insurgés (Larousse).

Le quotidien d’un combat spirituel

Les Camisards ne se vivaient pas uniquement comme des rebelles politiques. Leur engagement s’inscrivait dans une fidélité à la Parole, parfois jusqu’à la démesure :

  • Les assemblées nocturnes rassemblent parfois plus de 300 personnes en pleine montagne (cf. « Les Assemblées du Désert », M. d’Aubigné).
  • Les textes bibliques — souvent le psaume 68 ou le psaume 18 — servaient de cri de ralliement. La Bible, traduite en français au XVI siècle, permit un enracinement véritablement populaire.
  • On rapporte que certains chefs camisards priaient avant chaque action armée, cherchant la « direction de l’Esprit », pratique héritée des prophètes du Désert (Camisards Sources).

La résistance camisarde, dans ses excès comme dans ses déchirements, témoigne d’une foi viscérale, où l’intime du croyant affronte la démesure du pouvoir.

L’empreinte des Camisards dans la mémoire du Midi

Si la révolte fut matériellement écrasée en 1704, son héritage déborda largement les Cévennes. Plusieurs éléments expliquent ce retentissement au-delà des faits :

  • L’exil camisard contribua à la diaspora huguenote, qui irrigua l’Europe de réseaux commerciaux et intellectuels ; par exemple, près de 180 000 huguenots quittèrent la France entre 1685 et 1715 (BNF).
  • La figure du « résistant spirituel » marqua la littérature (de Michelet à André Chamson) et le récit national protestant. On lit encore les poèmes, les cantiques écrits au cœur des grottes et caves-caussenardes.
  • L’Église réformée du début du XIX siècle s’inspira de la fidélité camisarde pour reconstruire un protestantisme ouvert et engagé dans la société, jusqu’aux luttes pour la laïcité et l’éducation populaire.

Chaque année, les assemblées du Désert à Mialet rassemblent plusieurs milliers de personnes, mêlant descendants directs, passionnés d’histoire, catholiques, juifs, agnostiques et curieux. Un lien sldie demeure entre une foi vécue et une histoire enracinée.

On raconte que la « camisarde » n’est plus un esprit de vengeance, mais un souffle d’espérance tenace, déraisonnable parfois, toujours désireux d’entraîner l’Évangile sur des chemins escarpés.

Notes et ressources pour aller plus loin

Aux marges de l’histoire, un élan vivant

À travers l’épopée camisarde, c’est tout un pan du Midi qui continue de s’interroger : que signifie résister pour garder vivante une parole, un chant, une fidélité dans l’épreuve ? Leur histoire, souvent méconnue, irrigue discrètement nos engagements d’aujourd’hui. Dans les sentiers caillouteux des Cévennes ou le silence d’un temple, l’âme camisarde veille. Non pas pour un retour à la violence, mais pour rappeler qu’il existe, même aux jours les plus sombres, une lumière qui ne s’éteint pas tout à fait.

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