Le mot « Camisard » fait écho dans la mémoire du Sud, comme un souffle entravé qui refuse de s’éteindre. Les Camisards n’étaient ni une armée régulière ni une secte égarée : ils furent, d’abord, des paysans, artisans, artisans tisserands, bergers du pays cévenol et de plaine. Un peuple tout entier, déraciné au nom de la foi, s’est rassemblé dans la clandestinité pour défendre des convictions ancrées dans un terreau familier : celui du protestantisme huguenot.
Le terme « Camisard » apparaît dans les textes à partir de 1702. Le mot dériverait, selon plusieurs hypothèses, soit du mot occitan « camisa » (chemise), que les insurgés portaient lors de leurs actions nocturnes, soit du terme « camiso » signifiant eux-mêmes « ceux qui portent la chemise » (Persée).
Au-delà du mythe, la réalité était complexe : les Camisards étaient avant tout des hommes, des femmes, des adolescents, parfois des enfants, refusant de renier leur foi.
Le soulèvement des Camisards est impossible à comprendre sans revenir sur la tragédie de la Révocation de l’Édit de Nantes en 1685. Jusqu’alors, l’Édit garantissait une forme de coexistence confessionnelle, à défaut d’une paix intérieure. Les pasteurs furent expulsés, les lieux de culte détruits ou réaffectés. Dans le Languedoc, environ 400 temples furent rasés (Musée Protestant), et plusieurs dizaines de milliers de personnes prirent le chemin de l’exil, notamment vers Genève, la Prusse ou l’Angleterre.
Mais la majorité du « désert » — nom donné à la clandestinité protestante — resta sur place. Ceux qui continuèrent à célébrer leur foi le firent au péril de leur vie :
L’Édit de Nantes avait permis à environ 20% de la population du Bas-Languedoc de devenir protestante avant la Révocation (Annales). Après 1685, cette proportion s’effondra mais la foi demeura, souterraine, têtue.
Tout n’a pas éclaté d’un coup. Entre 1685 et 1702, la résistance s’est organisée : lectures clandestines de la Bible, célébrations cachées, relais itinérants de pasteurs du désert. Mais la violence du pouvoir, et la montée de la piété prophétique, aboutirent à un point de rupture.
Quelques dates clefs pour comprendre le basculement :
Le mouvement, d’abord défensif, s’organise rapidement en une véritable guérilla. Les troupes royales, lourdement armées, peinent à s’adapter à la topographie cévenole, aux chemins de transhumance et aux réseaux d’informateurs.
Parmi les figures marquantes de cette insurrection, plusieurs noms émergent, porteurs de courage mais aussi de dilemmes spirituels.
En 1703, on estime que 8000 à 10 000 soldats royaux furent mobilisés pour écraser moins de 2000 à 2500 insurgés (Larousse).
Les Camisards ne se vivaient pas uniquement comme des rebelles politiques. Leur engagement s’inscrivait dans une fidélité à la Parole, parfois jusqu’à la démesure :
La résistance camisarde, dans ses excès comme dans ses déchirements, témoigne d’une foi viscérale, où l’intime du croyant affronte la démesure du pouvoir.
Si la révolte fut matériellement écrasée en 1704, son héritage déborda largement les Cévennes. Plusieurs éléments expliquent ce retentissement au-delà des faits :
Chaque année, les assemblées du Désert à Mialet rassemblent plusieurs milliers de personnes, mêlant descendants directs, passionnés d’histoire, catholiques, juifs, agnostiques et curieux. Un lien sldie demeure entre une foi vécue et une histoire enracinée.
On raconte que la « camisarde » n’est plus un esprit de vengeance, mais un souffle d’espérance tenace, déraisonnable parfois, toujours désireux d’entraîner l’Évangile sur des chemins escarpés.
À travers l’épopée camisarde, c’est tout un pan du Midi qui continue de s’interroger : que signifie résister pour garder vivante une parole, un chant, une fidélité dans l’épreuve ? Leur histoire, souvent méconnue, irrigue discrètement nos engagements d’aujourd’hui. Dans les sentiers caillouteux des Cévennes ou le silence d’un temple, l’âme camisarde veille. Non pas pour un retour à la violence, mais pour rappeler qu’il existe, même aux jours les plus sombres, une lumière qui ne s’éteint pas tout à fait.