Entre le XVI et le début du XVIII siècle, le Languedoc et les Cévennes deviennent l’un des principaux théâtres des guerres de religion opposant catholiques et protestants (ou huguenots). Dès 1562, le Midi entre en résistance : la cité de Nîmes est le lieu du « Michelade », massacre d’une soixantaine de catholiques par les protestants, symbole d’escalade. Les affrontements alternent avec des trêves précaires ; les sièges de Montpellier (notamment en 1622), les batailles de Montauban ou les mutineries de ville comme à Castres rythment la chronique du Languedoc.
La signature de l’Édit de Nantes en 1598 par Henri IV accorde une coexistence légale entre les deux confessions, et le Midi connaît alors un fragile apaisement. Certains bastions protestants, tels Uzès, Montpellier, Anduze,, deviennent des « villes de sûreté » surveillées par des garnisons mixtes. Mais à partir du règne de Louis XIII, puis surtout sous Louis XIV, la politique d’unification religieuse du royaume accentue les tensions, jusqu’à la révocation de l’Édit de Nantes en 1685. C’est alors que l’étau se resserre et que le Midi protestant entre dans l’ombre de la clandestinité.
Les Cévennes offrent plus qu’un paysage : elles donnent un refuge. Cette chaîne montagneuse, entre vallées encaissées et forêts profondes, attire depuis la première diffusion de la Réforme (années 1530-1550) une population majoritairement acquise au protestantisme. Plusieurs raisons expliquent ce foisonnement particulier :
C’est ce terreau qui nourrit l’esprit de résistance. Le protestantisme y devient une identité collective, se manifestant jusque dans la toponymie (hameaux « Le Mas », « Les Pradals », « Le Temple ») et dans les paysages de terrasses et de châtaigneraies (voir les travaux de Philippe Joutard, « Les Camisards »).
Le terme « Camisard » renvoie au mot occitan , la chemise blanche que ces insurgés portaient lors des attaques nocturnes. Issus des Cévennes et du piémont cévenol (Vivarais, Vaunage, Haut-Languedoc), ils viennent tous ou presque de familles paysannes réformées. Leur soulèvement n’a rien d’une simple réaction à la persécution : il s’enracine dans un sentiment d’injustice face à une répression féroce et à la négation de leur droit à la conscience.
Les Camisards, animés par la prédication clandestine, la lecture de la Bible, l’attente du « Désert » (époque biblique de persécution et d’épreuve), s’organisent en réseaux de guerre de partisans : attaques rapides puis dispersion, assemblées secrètes et vie itinérante.
Nom | Origine | Particularité |
---|---|---|
Jean Cavalier | Ribaute (Gard) | Charisme militaire et diplomatique, passe au service de l’Angleterre puis obtient l’exil (1739) |
Pierre Laporte (Rolland) | Mazaurgues (Gard) | Sens tactique, habileté à la guérilla, mort au combat en 1704 |
Abraham Mazel | St-Jean-du-Gard | Visionnaire, meneur dans la première attaque (Pont-de-Montvert), mort en 1710 |
Salomon Couderc | Vivarais | Chef dans le nord, persécuté jusqu’en 1709 |
La diversité des chefs, issus tous de milieux modestes voire illettrés, surprend nombre de leurs adversaires. Leur méthode : connaître le terrain, agir vite, se fondre parmi paysans, artisans, charbonniers. Les succès militaires (prise de Sauve, résistance de la Vaunage) n’empêchent pourtant pas la férocité de la répression. Le charisme de Cavalier ou la spiritualité visionnaire de Mazel incarnent la variété des figures camisardes, de tacticiens à mystiques.
Selon l’ouvrage « Les Temples du Désert » (J.-P. Chabrol), entre 1685 et 1700, près de 800 temples sont détruits dans la région du Languedoc et les Cévennes (chiffre croisé avec « Les lieux de culte protestants en France », Gallimard, 2002). Souvent démantelés pierre à pierre, les temples voient parfois leurs matériaux réemployés pour ériger des églises catholiques. Parfois, des « clochers muets » (anciens clochers protestants sans cloche) restent comme silence de l’absence.
Pour survivre, les protestants réaménagent granges, grottes (celle de Trabuc, celle de Sainte-Baume), grandes « mazets » à l’écart des villages. Dans la clandestinité, la table devient autel, la chambre lieu d’assemblée. Certains cachettes sont identifiées localement par de subtils signes gravés : cœur, coupe, épi de blé.
Les « dragonnades » désignent une méthode systématique de conversion par la terreur, imposée dès 1681 par l’intendant Bâville. Les régiments de dragons, soldats catholiques, sont logés chez les protestants pour les contraindre à « abjurer ». Les familles cévenoles subissent alors :
Loin de convertir massivement, ces brutalités radicalisent la population. L’intransigeance royale nourrit la colère et transforme chaque assemblée secrète en acte de résistance.
Après la révocation, la pratique protestante entre dans un temps de « Désert » : nom que la tradition donne à l’ère de privation du culte. Tout s’invente alors dans le caché :
Le « Désert » n’est pas seulement géographique : il est aussi une réalité intérieure. L’absence de lieux de culte formels renforce la sacralité du simple, du quotidien.
Après la violence de l’hiver 1704 (« bataille du bois de Bouquet », massacre de la vallée de la Gardonnenque), la guerre s’essouffle, faute de moyens et devant la répression massive :
Cependant la répression reste dure : plus de 500 camisards exécutés, des milliers emprisonnés, tandis que des survivants fuient en Suisse, Allemagne ou Angleterre.
La guerre se termine officiellement en 1710. La tolérance religieuse ne sera réintroduite qu’avec l’édit de Tolérance (1787), bien des décennies plus tard.
La mémoire protestante, et plus particulièrement camisarde, reste essentielle dans la conscience collective cévenole :
Cette mémoire nourrit l’identité protestante du Midi, liant religion et attachement à la liberté, la fraternité et le respect des consciences.
L’impact des guerres de religion, puis de la guerre des Camisards, dépasse le simple cadre religieux. Elles transforment le tissu social : villes à forte minorité protestante, familles dispersées, diaspora active à l’étranger (près de 200 000 huguenots quittent le royaume entre 1685 et 1715 selon Jean-François Soulet). Les solidarités villageoises se pérennisent, l’autonomie des Églises protestantes s’affirme encore aujourd’hui via le Conseil régional du Languedoc.
Les paysages eux-mêmes, avec leurs mas isolés, murets de pierre et chemins cachés, portent les traces de ces siècles d’épreuves. Plus profondément encore, le sens du débat, de la persévérance, des formes alternatives de vivre la foi, continuent de marquer la spiritualité protestante du Midi.
La fidélité, la résistance sans haine, la créativité dans l’adversité sont sans doute les héritages les plus puissants de ces pages d’histoire — une mémoire à partager pour penser le présent.
Sources principales : Philippe Joutard, « Les Camisards » (Gallimard, 1997) ; Patrick Cabanel, « Les protestants et la République » (Presses de Sciences Po, 2019) ; André Encrevé, « Protestants français au XIX siècle ». Musée du Désert, Mialet. Archives départementales du Gard.