Au rythme des montagnes : chronologie de la guerre des Camisards dans les Cévennes (1702-1710)

27/09/2025

Un soulèvement enraciné dans la mémoire cévenole

Au tournant du XVIII siècle, les Cévennes ont connu huit années de feu et de ténèbres. L’insurrection des Camisards, enfants du pays, fut la dernière grande guerre de religion en France. De 1702 à 1710, les vallées du Languedoc sont marquées par une chronique tragique : celle d’hommes et de femmes révoltés face à la politique de conversion forcée de Louis XIV. Leur chronologie éclaire non seulement la violence de leur temps, mais aussi la résistance silencieuse d’un peuple façonné par sa foi.

Les origines du conflit : entre interdits et insurrections (1685-1702)

  • 1685 : Révocation de l’Édit de Nantes par Louis XIV. Les protestants du Midi, sommés d’abjurer leur foi ou de s’exiler, se réfugient dans le désert cévenol.
  • 1686-1702 : Vagues de dragonnades et d’emprisonnements. Les cultes clandestins se multiplient. Le terme de « Camisard » (de « camisa », la chemise, que portaient les insurgés) émerge dans ces années d’étouffement, de résistance souterraine et de prêches nocturnes.

1702 : L’embrasement – de la persécution à la guerre ouverte

La guerre des Camisards n’éclate pas d’un seul coup : elle jaillit, sanglante, après l’exécution exemplaire d’Abraham Mazet, jeune prophète tué par l’abbé du Chayla à Pont-de-Monvert.

  • 24 juillet 1702 : Le massacre du Pont-de-Monvert. Sous la conduite de Pierre Laporte, dit « Rolland », et de Jean Cavalier, un groupe d’une trentaine de jeunes gens délivre leurs compagnons retenus prisonniers et met à mort l’abbé du Chayla, symbole de la répression royale. Le soulèvement embrase aussitôt toute la région.
  • Fin juillet-août : Mulitplication d’embuscades et de rassemblements clandestins à la Borie et à Saumane.
  • Automne 1702 : Près de 2000 protestants rejoignent la lutte armée. Première vague de représailles : villages incendiés, arrestations massives, pendaisons.

1703 : La guerre prend de l’ampleur

La stratégie camisarde s’affirme, faite de guérilla et de mobilité dans les vallées escarpées.

  • Janvier 1703 : Prise des Tavernes près d’Alès par Jean Cavalier. L’élan populaire grandit, tandis que l’armée royale compte jusqu’à 22 000 hommes dans les Cévennes (source : Philippe Joutard, La légende des Camisards).
  • 11 avril 1703 : Bataille de la Tour de Billot. Victoire camisarde sur les forces du marquis de Montrevel.
  • Avril-mai : Prise de Saumane et de Sainte-Croix-Vallée-Française. Les Camisards attaquent désormais les bourgs catholiques fortifiés.
  • 8 mai 1703 : Les moines du monastère de Chambon-sur-Lignon sont massacrés, tragique symbole de la brutalisation croissante du conflit.
  • 14 juillet 1703 : Le « brûlement des Cévennes ». Sur ordre du maréchal de Montrevel, plus de 466 villages et hameaux sont incendiés en quelques mois, près de 6 000 maisons détruites entre juillet et août (source : Archives départementales du Gard).
  • 24 août 1703 : Échec royal devant Fraissinet-de-Fourques puis Saint-Jean-du-Gard. La montagne protège encore ses enfants.

1704 : L’espoir change de camp, l’usure des Camisards

Si la résistance perdure, la guerre d’usure s’accentue.

  • 11 mai 1704 : Bataille de Martignargues, victoire stratégique des Camisards avec moins de 500 hommes face à plus de 2 000 soldats royaux.
  • 26 avril 1704 : Le chef Jean Cavalier négocie avec le maréchal de Villars qui succède à Montrevel. Premières ouvertures en vue d’une paix partielle.
  • 24 mai 1704 : Trahison : Marthory, un des chefs camisards, est assassiné par un faux espion royal. La division s’installe dans la direction camiarde.
  • 17 juin 1704 : Jean Cavalier accepte une reddition sous promesse de grâce et d’exil. Départ de Cavalier et de près de 300 camisards pour Genève, puis pour l’Angleterre où il deviendra officier (source : Musée du Désert).

1705-1706 : Survivre dans la clandestinité : les derniers foyers de résistance

  • 1705 : Pierre Laporte, dit Rolland, mène la guerre de harcèlement avec de rares bandes. Beaucoup sont capturés, exécutés, ou dispersés dans la montagne.
  • 14 août 1705 : Mort de Rolland lors d’une embuscade à la tour de Plan de Fontmort, près de Saint-Jean-du-Gard. Fin du commandement charismatique pour la résistance camisarde.
  • 1706 : L’insurrection s’essouffle. Quelques dizaines d’insurgés poursuivent des actions ponctuelles autour de Vialas et des Bougès.

1707-1710 : De la répression à la dissimulation : l’ultime combat

Le pouvoir royal, persuadé de l’éradication du mouvement, concentre ses forces sur l’éradication du protestantisme clandestin :

  • 1707-1709 : Processions d’abjurations collectives dans plusieurs paroisses du Vivarais, du Gévaudan, du Bas-Languedoc.
  • 1709-1710 : Derniers groupes armés neutralisés par l’armée. Les rescapés se terrent, ou tentent l’exil vers Genève, la Suisse, ou parfois même la Prusse. L’armée royale publie en 1710 un « bilan » macabre : plus de 3 000 Camisards tués, 2 000 condamnés aux galères, des centaines d’exilés (source : E. Gibelin, Les Camisards).

Personnages marquants, symboles et tournants décisifs

  • Jean Cavalier : le « petit homme » d’Anduze, meneur charismatique à 21 ans, fin stratège, admiré même par les officiers adverses (lettres du maréchal de Villars, 1704).
  • Pierre Laporte / Rolland : mystique et guerrier, doué d’une mémoire prodigieuse de la Bible, mort tragiquement mais resté icône populaire.
  • Abraham Mazet et Françoise Bres : révélateurs de la dimension prophétique et spirituelle du mouvement, souvent oubliée au profit du volet militaire.
  • Le maréchal de Montrevel puis de Villars : côté royal, répression et tentatives de négociations alternent pour briser la révolte.

L’impact humain et mémoriel dans les Cévennes

  • De 1702 à 1710 : Plus de 500 000 hectares de forêts, pâturages et exploitations agricoles détruites. L’exode rural s’accélère, la population protestante locale diminue de près de 15% dans certaines paroisses (source : Archives Ecclésiastiques de Nîmes).
  • Des enfants, comme Abraham Durand (10 ans, exécuté en 1703), incarnent la brutalité d’un conflit où la foi devient synonyme de survie physique et morale.
  • Les abris troglodytiques, grottes de Malaval et mont Aigoual deviennent lieux de mémoire vivante, d’autant que les persécutés y continuent la prière en secret bien après 1710.
  • La guerre façonne la toponymie (Montredon, les Tavernes, le Plan de Fontmort) et la mémoire orale, chantée dans les familles cévenoles ou transmise dans les synodes clandestins.

Regards contemporains sur une guerre pas tout à fait finie

S’il est une guerre qui échappe aux bilans officiels, c’est bien celle-ci. La chronologie des Camisards n’est pas une suite d’événements clos, mais une longue onde de choc culturelle, religieuse et politique. Jusqu’à la Révolution française, puis la loi de 1905, la mémoire camisarde irrigue la piété populaire, nourrit la défiance envers le pouvoir central, inspire une spiritualité de résistance et de créativité. De nombreux auteurs (Philippe Joutard, Nicolas Lyon-Caen, Patrick Cabanel) insistent sur la singularité de cette guerre où chaque date vibre encore dans la pierre, les textes et les chants de nos villages.

La guerre des Camisards, ce n’est donc pas seulement une histoire close en 1710, mais une temporalité superposée, où battent encore le pas accéléré des fuyards, la prière des assemblées au Désert, la colère muette devant une violence impensable pour tant de familles. Relire cette chronologie, c’est aussi écouter le cœur battant d’un Midi protestant qui n’a jamais entièrement capitulé.

Sources utilisées : - Philippe Joutard, La légende des Camisards (Gallimard, 1977) - Patrick Cabanel, Les mots du Protestantisme (Albin Michel, 2017) - Archives départementales du Gard, fonds Camisards - Musée du Désert (Mialet) - E. Gibelin, Les Camisards (Éditions Privat, 1998) - Lettres du maréchal de Villars (Archives nationales)

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