Antoine Court : bâtisseur de l’espérance et restaurateur du protestantisme des Cévennes

11/09/2025

L’obscurité du Désert : héritage des persécutions

Le mot « Désert » n’est pas ici une image de stérilité spirituelle, mais le legs d’une réalité historique douloureuse. Après la Révocation de l’Édit de Nantes en 1685, les Protestants du Languedoc subissent une répression d’une rare violence.

  • Près de 600 temples démolis dans la région, entre 1685 et 1700 (source : Archives départementales de l’Hérault).
  • Entre 200 000 et 250 000 protestants français s’exilent dans les décennies qui suivent (Musée du Désert).
  • Plus de 3 000 hommes envoyés aux galères, des milliers de femmes enfermées (Elie Marion, Mémoires).

Sous Louis XIV, la répression ne se limite pas à la destruction matérielle : elle vise la disparition du protestantisme lui-même. Prédicateurs traqués, cultes clandestins réprimés, agir dans la foi relève du défi permanent.

Antoine Court : une vocation précoce, une vision enracinée

Antoine Court naît en 1696 près de Nîmes, dans une famille modeste et résistante. Orphelin de père à huit ans, il connaît la pauvreté et la peur, mais aussi la persévérance religieuse de sa mère (G. Rérolle, Antoine Court et la restauration du protestantisme français, 1982).

  • À 17 ans, Court assiste à ses premiers assemblées clandestines, portées par les “prédicants” laïcs.
  • Il commence lui-même à prêcher clandestinement à partir de 1715, à seulement 19 ans.

Mais Court n’est pas qu’un « inspiré » : il lit, écoute les anciens pasteurs exilés, et se rend vite compte que la survie du protestantisme ne suffira pas sans une restauration ecclésiale ferme, structurée, fidèle à ses racines réformées.

Rebâtir des Églises : ordonner le chaos sous pression

Éloigner l’enthousiasme prophétique pour restaurer l’ordre

La période dite des “Prophètes” (1700-1715), marquée par les extases et inspirations spectaculaires, avait permis de maintenir une flamme. Mais Court sent le danger des dérives millénaristes, et de l’anarchie spirituelle.

  • Il prône le retour à la prédication scripturaire, centrée sur la Bible.
  • Il appelle à la mise en place de consistoires locaux, et d’assemblées élargies : une mini-constitution pour l’Église, calquée sur les principes calvinistes.

En août 1715, la première « synode du Désert » se tient à Montèzes, près de Nîmes – un événement inimaginable quelques années plus tôt. On y élit officiellement les anciens, on structure la vie communautaire. Court, à 19 ans, en est l’instigateur principal (source : Synodes de Montèzes, Musée du Désert).

Formation des pasteurs et affirmation de la discipline

Antoine Court comprit très tôt qu’il fallait des pasteurs correctement formés pour structurer la foi et la vie des communautés :

  1. Élaboration d’un cursus formateur, souvent en exil, à Lausanne dès 1726 : « L’Académie du Désert » ou « Séminaire de Lausanne » est fondé par Court, avec l’aide de Bâle et Genève (source : C. Goehring, Les pasteurs du Désert, 1999).
  2. En un quart de siècle, plus de 120 pasteurs y sont formés, qui viendront irriguer les Églises du Midi en doctrinaires, catéchètes et consolateurs.
  3. L’accent mis sur la discipline : règles de vie rigoureuses pour pasteurs et fidèles, lutte contre l’alcoolisme, encouragement au mariage religieux, suppression des restes du prophétisme incontrôlé.

Cette restauration institutionnelle n’écrasa pas la ferveur populaire, mais lui donna un cadre vivable et durable, permettant aux Églises de tenir bon face à une hostilité persistante.

Coordonner le réseau, communiquer, tenir les liens sociaux

Une part essentielle du génie d’Antoine Court fut sa capacité à fédérer. Le Désert était un entrelacs de communautés disséminées, souvent isolées.

  • Organisation de circuits pour prédicateurs, animés parfois par de simples laïcs quand les pasteurs manquaient ;
  • Usage massif de la correspondance : près de 2 000 lettres conservées de Court et de ses proches collaborateurs, tissant un réseau de soutien et d’interpellation.
  • Création d’un véritable maillage de solidarités : collectes pour les prisonniers, aide aux familles en exil, entraide autour des assemblées secrètes.

Cette capacité à faire réseau est l’un des moteurs qui empêcha l’effondrement spirituel et moral au fil des décennies de clandestinité. Le protestantisme cévenol a survécu autant grâce à l’organisation que grâce à la conviction intime de ses membres.

Composer avec les autorités, résister sans céder à la haine

Face à une police vigilante et à une justice féroce, Court opte pour une résistance non-violente, mais déterminée. Il encourage la patience, la discrétion, refuse la tentation de l’insurrection armée. Sur ce point, il diffère de certains héritiers des Camisards qui portaient encore la mémoire du soulèvement (comme Jean Cavalier).

  • Multiplication des mesures de prudence : garde postée, assemblées éclairs, déplacements nocturnes (www.museedudesert.com).
  • Dialogue prudent avec les puissances suisses et genevoises pour assurer un refuge aux pasteurs et familles traquées.

Son hostilité réfléchie à la violence fera durablement école dans la tradition protestante du Languedoc, bien au-delà de son temps.

Des effets qui dépassent le seul Languedoc

Les actions d’Antoine Court, d’abord centrées sur le Languedoc et les Cévennes, rayonnent graduellement :

  • Le modèle synodal et le séminaire de Lausanne sont copiés par les communautés protestantes de Guyenne, du Dauphiné, du Poitou.
  • La diaspora huguenote en Europe entretient des liens ténus avec ces Églises du Désert restructurées.
  • L’évolution du protestantisme français moderne doit beaucoup à ce maillage initié par Court – On estime que dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, plus de 400 assemblées régulières fonctionnent en Languedoc et Cévennes, alors qu’elles étaient à peine 40 vingt ans plus tôt (source : J. Baublé, Histoire générale du protestantisme français).

En 1751, un an avant la mort de Court, la première ordonnance royale se montre encline à la tolérance envers les nouveau-nés protestants : un signe d’évolution de la société, et d’une présence protestante qui, grâce à Court, n’a jamais totalement disparu du paysage languedocien.

Héritage spirituel et traces vivantes aujourd’hui

Le terme « Églises du Désert » résonne encore dans les pasteurs, les anciens et les croyants du Languedoc. La structure presbytérienne-synodale, la fidélité à l’étude biblique, la vie communautaire discrète mais solide : tout cela doit à Antoine Court.

  • Des synodes régionaux aux groupes de maison, la trace de la discipline et de la collégialité demeure.
  • Le Musée du Désert à Mialet recueille et présente l’héritage matériel et moral de cette période et de ses acteurs, Court en tête.
  • Des témoignages écrits et oraux transmis de génération en génération, font du nom de Court l’un des « patrons » de la Résistance protestante, au même titre que Pierre Viret ou Jean Calvin.

La reconstruction initiée par Antoine Court ne fut pas seulement institutionnelle : elle fut celle d’une espérance, discrète mais obstinée. Un travail de patience, de discernement, d’organisation fraternelle. En redonnant souffle et ossature aux Églises du Désert, il a permis à ces terres du Midi non seulement de survivre, mais d’inspirer, encore aujourd’hui, dans les creux de nos vallées.

En savoir plus à ce sujet :