Ceux qui n’ont jamais déposé les armes : accords et répressions à la fin de la guerre des Camisards

01/07/2025

Les lueurs du maquis cévenol : un soulèvement qui s’épuise

Le mot « fin » ne s’applique jamais simplement à l’histoire. C’est particulièrement vrai pour la guerre des Camisards, qui, entre 1702 et 1704, a soulevé le Languedoc, le Vivarais et surtout les Cévennes dans un mélange d’élan mystique, de résistance farouche et de violence exacerbée. À la question de savoir quels accords ou quelles répressions ont mis fin à ce conflit, il faut répondre en nuances : il n’y eut ni paix franche, ni capitulation totale, mais plutôt une dissipation progressive des hostilités, marquée par des gestes politiques inattendus et par la continuation sous-terrains de la dissidence protestante.

Un contexte d’épuisement : la « guerre des rochers » sur sa fin

Au début de l’année 1704, la situation devient critique pour les insurgés. Si le premier élan, incarné par les prophètes et chefs populaires comme Jean Cavalier, Pierre Laporte (Rolland) ou Abraham Mazel, a délivré plusieurs coups spectaculaires, la dissymétrie des forces devient impossible à ignorer :

  • Les forces royales mobilisent près de 30 000 hommes sous les ordres successifs de Montrevel, Villars, puis Berwick, contre à peine 4 000 à 6 000 Camisards irrégulièrement armés (cf. Patrick Cabanel, Une histoire des protestants en France, p.132).
  • À la suite de violentes représailles, près de 466 villages et hameaux cévenols sont incendiés ou rasés, selon le rapport de l’intendant Basville (1704).
  • Près de 20 000 personnes auraient péri, entre morts aux combats, massacres et famines aggravées par le conflit (François Lapalud, Les Camisards).

Face à cette pression, l’âpreté des combats évolue en harcèlement localisé. Les Camisards s’appuient sur la toponymie sauvage des Cévennes (« La Fageolle, la Bastide, Bouquet, Mialet… ») mais doivent reconnaître la supériorité logistique du roi, qui alterne la terreur et le dialogue.

La politique du bâton et de la carotte : négociations secrètes et répressions exemplaires

Avec l’arrivée du maréchal de Villars au printemps 1704, une nouvelle stratégie s’esquisse : mêler la force à la diplomatie.

Les tentatives d’accord : la « pacification » de Villars

  • Rencontres secrètes : Villars, fin diplomate, multiplie les entretiens confidentiels : d’abord avec Jean Cavalier (en mai 1704, à Nîmes puis à Calvison), puis avec d’autres lieutenants camisards.
  • Promesses faites :
    • Amnistie pour ceux qui déposeront les armes,
    • Liberté de se réunir pour le culte familial (mais pas en public),
    • Permission de quitter la France pour ceux qui refusent d’abjurer.
  • L’affaire Cavalier : Le 16 mai 1704, Cavalier se rend officiellement. Le roi lui accorde le grade de colonel à la solde d’un régiment étranger (il finira en Angleterre). Plusieurs centaines de ses compagnons le suivent, mais Rolland, Mazel et d'autres refusent tout compromis.

Cette stratégie « diviser pour régner » porte des fruits : de nombreux Camisards font défection, mais jamais en masse. Beaucoup de chefs persistent dans la lutte jusqu'à leur mort ou leur capture.

Les méthodes de répression : la violence institutionnalisée

La politique royale demeure une politique de terreur :

  • Massacres collectifs : Exécution de plus d’un millier d’insurgés, destruction systématique de fermes. Le massacre du Pont-de-Montvert (1702 – 54 morts en une nuit) demeure emblématique.
  • Déportations : des milliers de femmes et enfants camisards, suspectés de soutien ou de « fanatisme », sont envoyés aux galères de Marseille ou déportés vers l’Algérie (Raymond Ginouves, Les Protestants et les galères, p.67-68).
  • Éradication des « Assemblées » protestantes : Chasses permanentes aux « assemblées du désert », peines de mort pour la simple écoute d’un prédicateur.

Pourtant, malgré ces méthodes, la flamme camisarde, discrète, ne s’éteint pas ; elle se transforme.

Détails des « accords » de 1704 : une paix sans la liberté de conscience

La « paix » annoncée à l’été 1704 n’a rien de comparable à l’Édit de Nantes de 1598. Elle propose surtout une extinction militaire de la révolte, non une reconnaissance du droit de culte. Les points saillants de ces accords informels, négociés individuellement, sont :

  1. Amnistie relative : les Camisards peuvent être graciés — à condition de se soumettre, abandonnant leur foi publique. Selon les registres de l’intendant Basville, près de 1 300 insurgés se rendent dans les deux mois suivant la « capitulation » de Cavalier (L’Histoire, n°241).
  2. Départ volontaire ou exil : Plusieurs centaines partent en Suisse, puis rallient l’Angleterre (où Cavalier formera un régiment de Huguenots, qui combattra en Espagne).
  3. Maintien de l’interdiction du protestantisme : aucune Église protestante n’est reconnue. Les assemblées clandestines demeurent traquées et réprimées.
  4. Réinstallation forcée : Les populations déplacées ou déportées ont interdiction de revenir dans les zones insurgées avant 6 mois, marquant une véritable tentative de remodeler la démographie locale.

Ce compromis, plus imposé que négocié, reste donc un armistice « sur les armes », mais pas sur la conscience.

Une guerre souterraine qui persiste après 1704

Si la guerre ouverte s’estompe à partir de l’été 1704, des foyers de résistance subsistent jusqu’en 1710 (notamment dans le Vivarais et le Bas-Languedoc). Quelques chiffres témoignent de cette persévérance :

  • En 1705-1707, 14 nouvelles « bandes camisardes » sont recensées dans les Cévennes, bien que de petite taille (Annales ESC, Kreissler).
  • L’arrestation et l’exécution de Rolland (14 août 1704), puis de Mazel (1710), marquent la fin symbolique des grandes figures du maquis. En 1706, l’attaque de la troupe de Catinat à Saint-André-de-Valborgne prouve que l’insurrection n’est pas tout à fait morte.\

Le climat reste tendu : dans plusieurs villages, la mémoire camisarde se perpétue sous la forme de veillées, récits et chants clandestins ; des « Prophètes » animent encore des réunions secrètes, malgré les risques considérables.

Des conséquences durables dans la société du Midi

La fin officielle de la guerre n’est pas une fin pour le protestantisme cévenol, loin de là. Plusieurs conséquences structurantes sont à relever :

  • Persistances des « Assemblées au Désert » : Les cultes clandestins se maintiendront au XVIII siècle : on recense 64 assemblées dispersées dans le Gard et le Vivarais dès 1707 (Françoise Chevalier, Les Cévennes protestantes, p.75).
  • Surveillance étatique accrue : Plus de 3 000 lettres de cachet sont délivrées en Languedoc entre 1704 et 1715, pour traquer les « récidivistes » camisards (Archives départementales de l’Hérault, série C).
  • Émigration vers la Suisse, l’Allemagne, l’Angleterre : On considère que 3 500 à 5 000 camisards ou proches ont fui le pays après l’été 1704 (Patrick Cabanel).
  • Sédimentation d’une mémoire combattante : Les histoires de courage et de martyrs alimentent le sentiment d’identité protestante cévenole, contribuant à un ethos qui se transmettra jusqu’à la Révolution et au-delà.

La guerre des Camisards s’achève donc sans victoire, mais sans extinction de la foi persécutée.

Au-delà des armistices : survivances et traces aujourd’hui

Le souvenir de la guerre des Camisards ne s’éteint pas avec les derniers coups de feu. Dans chaque village du Midi où une croix huguenote perce encore les pierres, où una « montée au Désert » rassemble chaque été croyants et curieux, la mémoire de ces accords précaires et de la répression sauvage demeure. Les négociations menées en 1704, et les compromis imposés par la force, n’ont pas éteint ce que certains appelleront la « survivance du désert », cette capacité propre à la minorité protestante du Sud de résister, d’inventer d’autres formes de fidélité et de partage.

L’histoire de la fin de la guerre des Camisards ne désigne donc pas simplement une date ou un traité. Elle porte la trace d’une certaine façon, celle de rester debout « en travers du chemin du monde » — selon la belle expression du poète Daniel Vigne —, et de cultiver dans nos terres la mémoire têtue des « armes de l’esprit ».

Sources : Patrick Cabanel, Une histoire des protestants en France XVI-XXI siècle (2012) ; Françoise Chevalier, Les Cévennes protestantes (2016) ; L’Histoire, n°241 ; Raymond Ginouves, Les Protestants et les galères ; Archives départementales de l’Hérault, série C ; Annales ESC (Kreissler, 1975).

En savoir plus à ce sujet :