Le mot « fin » ne s’applique jamais simplement à l’histoire. C’est particulièrement vrai pour la guerre des Camisards, qui, entre 1702 et 1704, a soulevé le Languedoc, le Vivarais et surtout les Cévennes dans un mélange d’élan mystique, de résistance farouche et de violence exacerbée. À la question de savoir quels accords ou quelles répressions ont mis fin à ce conflit, il faut répondre en nuances : il n’y eut ni paix franche, ni capitulation totale, mais plutôt une dissipation progressive des hostilités, marquée par des gestes politiques inattendus et par la continuation sous-terrains de la dissidence protestante.
Au début de l’année 1704, la situation devient critique pour les insurgés. Si le premier élan, incarné par les prophètes et chefs populaires comme Jean Cavalier, Pierre Laporte (Rolland) ou Abraham Mazel, a délivré plusieurs coups spectaculaires, la dissymétrie des forces devient impossible à ignorer :
Face à cette pression, l’âpreté des combats évolue en harcèlement localisé. Les Camisards s’appuient sur la toponymie sauvage des Cévennes (« La Fageolle, la Bastide, Bouquet, Mialet… ») mais doivent reconnaître la supériorité logistique du roi, qui alterne la terreur et le dialogue.
Avec l’arrivée du maréchal de Villars au printemps 1704, une nouvelle stratégie s’esquisse : mêler la force à la diplomatie.
Cette stratégie « diviser pour régner » porte des fruits : de nombreux Camisards font défection, mais jamais en masse. Beaucoup de chefs persistent dans la lutte jusqu'à leur mort ou leur capture.
La politique royale demeure une politique de terreur :
Pourtant, malgré ces méthodes, la flamme camisarde, discrète, ne s’éteint pas ; elle se transforme.
La « paix » annoncée à l’été 1704 n’a rien de comparable à l’Édit de Nantes de 1598. Elle propose surtout une extinction militaire de la révolte, non une reconnaissance du droit de culte. Les points saillants de ces accords informels, négociés individuellement, sont :
Ce compromis, plus imposé que négocié, reste donc un armistice « sur les armes », mais pas sur la conscience.
Si la guerre ouverte s’estompe à partir de l’été 1704, des foyers de résistance subsistent jusqu’en 1710 (notamment dans le Vivarais et le Bas-Languedoc). Quelques chiffres témoignent de cette persévérance :
Le climat reste tendu : dans plusieurs villages, la mémoire camisarde se perpétue sous la forme de veillées, récits et chants clandestins ; des « Prophètes » animent encore des réunions secrètes, malgré les risques considérables.
La fin officielle de la guerre n’est pas une fin pour le protestantisme cévenol, loin de là. Plusieurs conséquences structurantes sont à relever :
La guerre des Camisards s’achève donc sans victoire, mais sans extinction de la foi persécutée.
Le souvenir de la guerre des Camisards ne s’éteint pas avec les derniers coups de feu. Dans chaque village du Midi où une croix huguenote perce encore les pierres, où una « montée au Désert » rassemble chaque été croyants et curieux, la mémoire de ces accords précaires et de la répression sauvage demeure. Les négociations menées en 1704, et les compromis imposés par la force, n’ont pas éteint ce que certains appelleront la « survivance du désert », cette capacité propre à la minorité protestante du Sud de résister, d’inventer d’autres formes de fidélité et de partage.
L’histoire de la fin de la guerre des Camisards ne désigne donc pas simplement une date ou un traité. Elle porte la trace d’une certaine façon, celle de rester debout « en travers du chemin du monde » — selon la belle expression du poète Daniel Vigne —, et de cultiver dans nos terres la mémoire têtue des « armes de l’esprit ».
Sources : Patrick Cabanel, Une histoire des protestants en France XVI-XXI siècle (2012) ; Françoise Chevalier, Les Cévennes protestantes (2016) ; L’Histoire, n°241 ; Raymond Ginouves, Les Protestants et les galères ; Archives départementales de l’Hérault, série C ; Annales ESC (Kreissler, 1975).